SHIFTING PERSPECTIVES

 
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    J’ai grandi dans l’une des fermes situées dans la rue de Hunsdorf et depuis l’enfance, le trajet de Mullendorf à Lorentzweiler, via Hunsdorf, exerce un attrait magique sur moi. À l’époque, assise à l’arrière de la voiture de mes parents, j’essayais d’imaginer à quoi pouvaient ressembler les intérieurs et les habitants des maisons qui défilaient sous mes yeux. Les passants, je ne les apercevais que furtivement, mais cela suffisait à nourrir les vies et les petites histoires que j’aimais leur inventer. Tout se passait un peu comme dans un film.

    Ceux qui connaissent mon travail savent que j’adore mêler fiction et réalité à la manière de David Lynch. Les ambiances étranges m’ont toujours fascinée. Elles m’ont toujours inspirée.

    Quand, enfants, nous grimpions à vélo en haut du plateau de Steinsel et que nous redescendions ensuite par celui de Hunsdorf, je me figurais souvent que nous étions poursuivis par des monstres ou d’autres créatures obscures. Lorsque nous arrivions à Hunsdorf, nous étions à nouveau « en sécurité ».

    Depuis toujours, pour moi, tous les chemins mènent à Lorentzweiler. Petite, on me coupait les cheveux à Hunsdorf. J’accompagnais aussi mon père à Lorentzweiler pour aller voir nos vaches, et si lʼon additionne le temps que j’ai dû passer à attendre devant le passage à niveau, je pense qu’il m’a coûté plus d’une semaine de ma vie. Je n’emprunte la Boufferknupp, qui traverse Helmdange, que les jours où je n’ai pas envie d’attendre devant le fameux passage. Au cours des neuf années que nous avons passées à Bourglinster, j’ai traversé Blaschette presque quotidiennement, et je le fais encore aujourd’hui quand je me rends chez notre pédiatre à Junglinster. J’ai aussi parcouru Aasselscheier via la montée de Heisdorf, mais c’était avant la construction de l’autoroute.

    Maintenant que j’habite à Mullendorf, je vois tous les jours Hunsdorf et ses pylônes électriques au loin.

    Mon travail est intimement lié à la nostalgie. Je ne vois pas tous ces villages avec des yeux nouveaux, mais à travers mes souvenirs d’enfance. Et à ce titre, ce sont précisément les lieux authentiques qui exercent le plus fort pouvoir d’attraction sur moi et qui m’inspirent le plus. Ils racontent d’innombrables histoires et c’est précisément cela qui me tient à cœur.

    Il m’a donc semblé évident que je partirais à la redécouverte de ces villages à pied, afin de capturer ces atmosphères particulières qui constituent mon univers photographique. Et cela, sans photographier de gens.

    Mais j’ai très vite senti qu’il me manquait quelque chose. Ma vision était incomplète sans les êtres humains, sans les « personnages » de mes petites histoires inventées. Il me manquait ce sentiment qui, enfant, me prenait quand, depuis la place arrière de la voiture, j’apercevais un passant dans la rue. Mais je ne voulais pas forcer les choses et il m’importait qu’elles se produisent naturellement. J’ai donc écarté l’idée des portraits posés et j’ai plutôt tenté de capturer les passants dans les rues, de manière discrète et fluide, suivant le flux de leurs mouvements respectifs.

    Le plus simple, alors, fut de réinvestir ma perspective d’enfant et de photographier les passants depuis ma voiture.

    Le travail artistique qui est né de ce point de vue s’adresse à l’imagination du spectateur. Il crée un espace en suspens, un univers photographique dans lequel chacun et chacune est invité(e) à (re)découvrir ces lieux à travers mes yeux.

    en

    I grew up in one of the farms located on Hunsdorf Street and since childhood, the journey from Mullendorf to Lorentzweiler, via Hunsdorf, exerts a magical attraction on me. At the time, sitting in the back of my parents' car, I tried to imagine what the interiors and inhabitants of the houses passing by looked like. The passers-by were only glimpsed briefly, but that was enough to feed the lives and little stories I loved to invent about them. Everything happened a bit like in a movie.

    Those who know my work know that I love to mix fiction and reality in the manner of David Lynch. Strange atmospheres have always fascinated me. They have always inspired me.

    When we climbed up to the Steinsel plateau on our bikes as children and then came down again via Hunsdorf, I often imagined that we were being chased by monsters or other dark creatures. When we arrived in Hunsdorf, we were "safe" again.

    For me, all roads have always led to Lorentzweiler. When I was little, I had my hair cut in Hunsdorf. I also accompanied my father to Lorentzweiler to see our cows, and if you add up the time I must have spent waiting in front of the level crossing, I think it cost me more than a week of my life. I only take the Boufferknupp, which crosses Helmdange, on days when I don't feel like waiting in front of the famous crossing. During the nine years, we spent in Bourglinster, I crossed Blaschette almost daily, and I still do today when I go to our pediatrician in Junglinster. I also traveled to Aasselscheier via the Heisdorf climb, but that was before the construction of the highway.

    Now that I live in Mullendorf, I see Hunsdorf and its power pylons in the distance every day.

    My work is intimately linked to nostalgia. I don't see all these villages with new eyes but through my childhood memories. And in this respect, it is precisely the authentic places that exert the strongest attraction on me and inspire me the most. They tell countless stories and that is precisely what is close to my heart.

    So it seemed obvious to me that I would set out to rediscover these villages on foot, to capture these particular atmospheres that make up my photographic universe. And that, without photographing people.

    But I quickly felt that something was missing. My vision was incomplete without human beings, without the "characters" of my invented little stories. I missed that feeling that took hold of me as a child when, from the back seat of the car, I saw a passerby in the street. But I didn't want to force things and it was important to me that they happen naturally. So I dismissed the idea of posed portraits and instead tried to capture passersby in the streets, discreetly and fluidly, following the flow of their respective movements.

    The simplest thing, then, was to reinvest my child's perspective and photograph passersby from my car.

    The artistic work that was born from this point of view speaks to the viewer's imagination. It creates a suspended space, a photographic universe in which everyone is invited to rediscover these places through my eyestbeschreibung